Après l’émoi causé par l’apparition de deux lignes distinctes sur un test de grossesse, après avoir fait faire une crise de cœur à ma mère en lui présentant le probant bâtonnet-pipi dans une boîte-cadeau, voici que je me rends au premier rendez-vous de suivi de ma toute nouvelle et encore frêle grossesse et qu’on m’annonce que je dois passer une échographie.
Déjà.
C’est que, quelques jours plus tôt, en plein le jour prévu de mes règles, une désagréable tache sanguinolente avait éteint mon espoir d’être en train de me reproduire. Malgré tout, mon amoureux, lui, avait le feeling que je portais la vie. Il a insisté pour qu’on vérifie si son instinct ne lui jouait pas un tour, et ma foi, il a bien fait : je n’avais pas mes règles. J’avais au contraire la machine utérine bien en selle sur le miraculeux pur-sang de la maternité.
Tout ça pour dire que neuf jours après la plus heureuse pisse de ma vie, j’ai rencontré mon médecin de famille pour lui faire part de la belle nouvelle.
« Félicitations! s’est réjoui mon gentil docteur. Y a-t-il eu des saignements dernièrement?
— Ouin. En fait, je pensais que j’étais dans ma semaine. Finalement, pantoute, j’t’enceinte!
— J’aime pas ça. Faudrait passer une échographie pour vérifier d’où vient le saignement. Grouille pas, je fais un appel. »
J’avais failli ne même pas mentionner à mon médecin que quelques gouttes de sang avaient sali mes culottes et que, sept jours plus tard, j’apprenais qu’un strudel aux pommes se chauffait la pâte dans la chaleur de mes entrailles. Dans mon esprit candide, c’était négligeable, sans importance, et j’allais subir ce genre de manifestations corporelles étranges plus souvent qu’autrement dans les prochains mois, alors aussi bien m’y faire. Je veux dire, quelqu’un, carrément, s’émancipait dans mon ventre : il devait être normal qu’un vaisseau sanguin ou qu’une membrane s’en ressentent un brin. Eh bien, apparemment que pour les grossesses, chaque fuite compte et doit être examinée, contrairement à bien des pipelines.
« J’ai trouvé une place pour une échographie dans une heure », m’a alors annoncé mon docteur.
Notez que je suis Québécoise et que tous les examens médicaux dont je ferai mention auront été faits dans la Belle Province. Alors oui, il y a de quoi s’étonner de cette fulgurante prise en charge. Je ne me suis pas plainte, faut dire.
Une heure plus tard, en jaquette d’hôpital, les quatre fers en l’air, j’ai passé ma toute première échographie. L’échographiste m’a alors informée de la présence de petits débris pouvant être des séquelles d’un vieux décollement du chorion (la membrane externe de l’embryon en contact avec l’utérus), de là le saignement de l’autre fois. Puis il a souri et m’a annoncé avec une joie contenue — une joie de professionnel de la santé :
« Je vois deux petits sacs.
— Oh.
— Vous semblez pas très surprise. »
Deux voyantes m’avaient déjà avisée que j’allais avoir des jumeaux. Il n’en demeure pas moins que j’étais sur le cul.
« Des jumeaux? me suis-je enquise, parce que “deux petits sacs”, c’est large, même si j’avais le fort pressentiment que ce médecin ne m’apprenait pas, à même pas deux mois de grossesse, que je portais un fils.
— C’est trop petit pour que je puisse voir les deux cœurs battre, vous allez devoir revenir dans 10 jours. Mais je vois clairement deux sacs vitellins. »
J’ai lu plus tard dans le rapport médical que les sacs vitellins ne mesuraient pas plus de 3 mm chacun. Ce fameux sac est une petite poche qui nourrit l’embryon jusqu’à ce que le placenta prenne la relève. L’enveloppe se transforme éventuellement en partie de l’intestin. Un bébé : un sac vitellin. Deux bébés : deux sacs vitellins. J’avais bien compris.
La première chose que j’ai faite un coup rhabillée a été d’appeler l’autre personne la plus concernée par ce doublon du vitellin, c’est-à-dire mon amoureux. On a passé deux bonnes minutes à rire au téléphone. On voulait deux enfants : on était servis.
Question de vérifier si le cœur de ma mère avait encore de quoi dans le ventre, je l’ai appelée en deuxième. La pauvre a tenu le coup, non sans crier ni me demander si j’étais pas folle. J’essaie de la garder jeune, toujours sur le qui-vive, et donc je ne la ménage pas.
Dix jours plus tard, lors d’une deuxième échographie, échographie à laquelle mon amoureux a eu la présence d’esprit d’assister, on les a bien vus, ces deux petits cœurs de six semaines et cinq jours qui battaient. Mon époux, le médecin, moi, on souriait, tous très contents de constater qu’on avait fait d’une pierre deux coups. À ce moment, moi, j’en avais eu pour mon argent et j’étais sur mon départ, mais le père des deux pôles fœtaux n’en avait pas fini avec le médecin. Il voulait savoir quelle était la sorte de jumeaux qu’on attendait.
« Monozygotes, a précisé l’échographiste. Ils sont dans le même sac gestationnel. »
J’étais dès lors l’heureuse maman de jumeaux identiques.
Photo de couverture par opera infinita sur Unsplash.
