Une grossesse gémellaire, bien qu’intensément joyeuse, vient avec quelques incommodités dont je fais ici la liste non exhaustive. Pour recevoir vos bons mots, accueillir votre empathie, je sais que vous comprenez.
Endormitoire chronique, appétit d’ogresse de jour et de nuit, soif (d’eau) démesurée, envie constante de fruits, douleurs au coccyx et à la damnée symphyse pubienne — une partie du corps dont on se soucie seulement lorsqu’elle nous fait la vie dure —, nausées, insomnies vers la fin du périple, distractions et fuites urinaires, tout ça accable les gestations simples autant que les doubles, et je n’y ai pas échappé.
À cela s’ajoutent les spécificités suivantes : un congé de maternité qui commence de bonne heure, soit à 24 semaines de grossesse dans mon cas, une bédaine monstrueuse, l’inquiétude de ne pas savoir si les deux bébés bougent de façon égale ou si c’est toujours le même qui grouille, et la nécessité de porter une ceinture adaptée dès la 29e semaine pour réduire les maux de dos (voici le lien vers celle que j’ai utilisée, une vraie panacée).
Ah oui, un accouchement qui risque d’avoir lieu plus tôt que prévu aussi.
Ça adonne que j’en ai long à dire là-dessus.
Une bonne journée de fin d’été, à 33 semaines de grossesse, je suis énorme, toute en enflure, tentant de vaquer aux occupations du quotidien quand une douleur dans le haut de l’abdomen me prend par surprise et me coupe le souffle. Le mal n’est pas insoutenable; disons qu’il tape sur la poire et qu’il empire d’heure en heure. Mes muscles se crispent, j’ai des frissons, je suis fatiguée, mais je me rends tout de même à une fête d’enfants où on m’attend. Se fiant à leurs expériences personnelles, les mères présentes formulent leurs hypothèses sur mon état :
« Les bébés doivent peser sur tes poumons, c’est pour ça que tu as du mal à respirer.
— C’est vrai.
— Reste assise, bouge pas, on t’apporte ton assiette.
— C’est normal, tu portes des jumelles.
— Je me sentais comme ça aussi avant d’accoucher, comme si j’avais de la fièvre.
— Tu feel pas Laulau?
— Je suis certaine que tu vas accoucher d’ici demain.
— Lâche pas Laurence, ça achève. »
De retour à la maison, j’essaie de m’assoupir, je prends des douches bouillantes pour détendre mes muscles, je ne soupe pas, je n’arrive pas à dormir, j’ai mal, je ne sais plus comment m’asseoir ou m’étendre, 1 h du matin sonne et je n’ai plus de patience.
Après avoir pris connaissance de ma ribambelle de symptômes, la dame du 811 me persuade que le travail est en branle. J’appelle au CHUM pour les aviser que, ma foi du Saint-Ciel, je m’en viens accoucher, et la garde-malade à l’autre bout du fil, fort peu impressionnée, me laisse savoir que je peux bien me déplacer, mais que, franchement, minces sont les chances que ça se passe aujourd’hui.
Ah.
Qu’à cela ne tienne, je tire mon mari d’un douillet sommeil en l’informant que moi, je m’en vais à l’hôpital quoi qu’on en dise. L’instinct, mesdames et messieurs, ce sens sous-estimé et inexploité, c’est cet instinct qui me pousse à bouger et à rester à l’hôpital en attendant les résultats des tests (sanguins et urinaires), même si l’infirmière m’offre de rentrer chez moi jusqu’à ce que le malheur qui me ronge soit découvert. Parce que rien, vraiment, à part mon mal-être, ne laisse présager qu’il y a de quoi s’inquiéter. Pas de fièvre, pas de contractions, un col utérin bien fermé, une pression artérielle peu orthodoxe sans être alarmante, c’est tout ce que j’ai pour qu’on me prenne au sérieux. Ça et les cent pas que je fais dans le corridor, grimaçante et gémissante, question que le personnel médical ne m’oublie pas.
Ben Saint-Gédéon de Cowansville, quatre heures plus tard, alors que mon époux et moi sommes assoupis dans une chambre d’hôpital, le médecin nous réveille et nous annonce que le rapport se révèle douteux, avec entre autres un taux de plaquettes bas et une forte présence d’une enzyme hépatique. On me prélève encore du sang et une heure plus tard, le diagnostic tombe : je suis atteinte d’une forme de prééclampsie qu’on appelle le syndrome de HELLP.
Une maladie grave, potentiellement mortelle pour la mère et les enfants, dont le seul remède est l’accouchement. Et pas dans quelques heures, non non. Maintenant.
Ça fait que j’ai accouché, par césarienne d’urgence, sous anesthésie générale, et j’ai reçu pour la première fois de ma vie des transfusions sanguines, oui monsieur.
J’ai dansé, pas de doute. Mais je n’avais rien vu.
Le gros de la job venait de commencer, lol.
Photo de couverture par Marlon Lara sur Unsplash.
